Qu’est-ce qu’une information, un journal, un-e journaliste, une photographie de presse ? Pour la grande majorité des adolescents d’aujourd’hui – hyper connectés aux réseaux sociaux et par ailleurs, peu consommateurs de médias dits « traditionnels » – ces questions sont loin d’être évidentes. C’est dans ce contexte de fortes mutations, dans les façons de s’informer et de vivre l’actualité à travers les images, que des élèves de 3ème du Blanc-Mesnil se sont engagés cette année dans le projet « The big picture » portant sur le photojournalisme et les médias. Dans ce cadre, ils ont rencontré et travaillé pendant plusieurs mois avec deux photojournalistes. Ensemble, ils se sont engagés dans la création d’un journal.
Dès le départ, expliciter des notions d’apparence simples mais complexes comme la photographie, le photojournalisme, l’information ou les médias d’information, est apparu comme un préalable indispensable.
« Nous allons créer ensemble un journal ! » avaient lancé les photojournalistes Michel Slomka et Xavier de Torres lors de leur première séance d’atelier. Cette question était pourtant loin d’aller de soi pour ces adolescents et nécessita un certain temps de découverte et de familiarisation, à travers les différentes étapes du parcours (ateliers, sorties culturelles, autres interventions).
Très rapidement, les élèves ont été sensibilisés aux spécificités de la photographie de presse : à la nécessité de contextualiser chaque image à l’aide des éléments visibles en « champ » et des indices présents en « hors champ » ; à l’importance cruciale de la lumière et de son utilisation pour mettre en valeur un sujet. Autrement dit, saisir l’instant qui fera que l’image aura des chances d’être remarquée et diffusée. In fine, prendre conscience du caractère subjectif d’une photographie répondant à un parti-pris esthétique et narratif. Se poser la question des moyens à utiliser pour raconter une histoire à travers ces « instantanés ».
Les élèves se sont peu à peu confrontés à une réalité peu familière : la photographie de presse est bien un métier – certes en plein bouleversement – mais un métier tout de même, avec ses journalistes, ses photoreporters, ses rédactions, ses cartes de presse et ses accréditations. Une invitation à remettre en perspective le rôle du photojournaliste qui, à l’inverse d’un photographe amateur, part à la recherche de l’information et l’éclaire à travers son objectif et ses écrits. La réalité étant toutefois complexe : de plus en plus de photographies amateurs étant repérées et diffusées par les rédactions[1].
Une question de fond est régulièrement revenue dans les esprits : une photographie dit-elle la vérité ? Est-elle l’exact reflet du « réel » ?
Les élèves se sont rendus compte, par la pratique et la rencontre avec différents intervenants, que l’image – en particulier photographique – n’était jamais un acte neutre. Qu’elle était donc toujours le produit du point de vue de celui ou celle qui la produit et de l’interprétation de celui ou celle qui la reçoit.
Dans le contexte post « Affaire Théo », les élèves ont par exemple visionné une photographie publiée par Paris Match[2] dans laquelle la victime sur son lit d’hôpital recevait la visite du Président de la République. Les photojournalistes ont invités les élèves à être très attentifs aux crédits photographiques présents dans la légende de l’image et de se poser la question de la place précise du photographe dans un dispositif éditorial. Dans ce cas précis, la photographie avait été prise par un membre du service de presse de l’Elysée et s’apparentait, dans ce contexte difficile, à une photographie de « communication », avec ses attendus en termes de symbole et d’image sur la personne du Président.
Prendre le recul par rapports à ces images est donc nécessaire pour en analyser la portée (information, communication, les deux à la fois). De même que la nature des images et des points de vue diffère selon la ligne éditorial des organes de presse.
Cette réflexion sur les images d’information a convié les élèves à s’interroger sur leurs propres pratiques informatives. A l’heure des chaînes d’info en continu, des flux internet et des réseaux sociaux, qu’est-ce qu’une information et selon quels critères ? Et comment a évolué notre rapport à l’information ? Dans le cadre de leur parcours culturel axé autour de la thématique « médias : le monde en images », les jeunes ont pu se rendre au Forum des images pour participer à l’atelier « Du JT à l’internet : décryptage et analyse de l’information » animé par le journaliste Thierry Layec.
Avec l’avènement de l’information en continu « 24h/24-7j/7 », s’est imposé un nouveau modèle, en provenance des Etats-Unis : celui de « l’information feuilleton », plaçant ses spectateurs dans un comportement d’attente et dans l’espérance d’apprendre quelque chose de nouveau. Un positionnement propice d’une part à l’addiction et à l’exposition aux placements publicitaires, d’autre part.
Après avoir retracé les étapes clés d’une information (caractère d’intérêt général, sources avérées, véracité/vérification des sources (faits) effectuée par des professionnels), les élèves se sont penchés sur le cas des chaînes d’info en continu et aussi sur le rôle et la place grandissants des moteurs de recherche internet, aujourd’hui, Google et Yahoo actualités en tête. Contrairement aux rédactions, composées de professionnels qui vérifient et recoupent les faits et les publient dans des médias, les moteurs de recherche restent de simples diffuseurs (agrégateurs de contenus) qui ont l’obligation de citer les sources relayées. De même, les réseaux sociaux sont devenus, chez les plus jeunes, la source principale d’information sur internet. Or le poids occupé aujourd’hui, en termes du nombre d’utilisateurs, par une plateforme comme Facebook participe du brouillage des sources d’informations. De nouveaux outils sont apparus pour contrer ces tendances : certification des pages officielles sur Facebook ou mise en place de plateforme comme « Décodex[3] »
Cet atelier, fort riche, a été l’occasion de découvrir un format original dans le paysage audiovisuel, la séquence « No comment » produite par Euronews.
L’absence de commentaires constitue la spécificité de ce format dont les images brutes sont montées et agencées pour transmettre des informations et un message relativement à un sujet.
Retour au collège : les élèves de 3ème, nouvellement détenteurs de leurs cartes de presse, ont lancé leur propre « comité de rédaction ». Chaque équipe de photojournalistes s’est lancée dans son propre projet de reportages. Les premières étapes du travail ont consisté à en définir les contours. Une équipe a par exemple décidé de réaliser un sujet sur la communauté éducative du collège et d’aller à la rencontre d’un certain nombre de personnes (Principal, CPE, professeur-e-s, administration, maintenance, etc.) pour les interviewer sur la réalité de leurs fonctions, leur actualité et effectuer leur portrait photographique, en veillant au choix de l’angle, de la prise vue et éventuellement de la mise en scène.
Dans un deuxième temps, les photojournalistes en herbe ont du réaliser l’exercice – très difficile – de retranscription des interviews réalisées à travers les articles. Les sujets bouclés, le comité de rédaction s’est attelé à la production de la maquette du journal. En prenant appui sur l’exemple du journal « Le 1[4] », Michel Slomka et Xavier de Torres ont invité les jeunes à réfléchir collectivement sur la manière d’agencer et de présenter les contenus (textes et images, typographie, etc.) sur la Une et trouver un titre à la publication reflétant le contenu défendu par la rédaction
Au moment du bouclage, la conférence de rédaction était en surchauffe: dernière ligne droite pour la rédaction des articles et des éditos, finalisation de l’agencement des textes, photographies et dessins.
Jusqu’au dernier moment, ce journal intitulé « Ceci est un journal » a mobilisé l’investissement de chacun : élèves comme accompagnateurs.
Bien au delà de la création d’un simple « papier », l’ambition de ce projet a résidé dans ce partage des énergies et la prise de conscience du rôle et de la place de l’information et de ses métiers dans notre système démocratique.
Au moment où les flux de données sur internet s’intensifient et où les relais de propagande, d’intox et de fausses nouvelles prolifèrent, la sensibilisation des adolescents à des sujets cruciaux comme le pouvoir de l’information, son influence sur l’opinion, l’approche critique des sources et la diversification des approches et des points de vue, par le biais notamment de la création artistique, constitue un atout précieux pour le développement de l’esprit critique des jeunes, de même qu’un acte éminemment citoyen.
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Les acteurs du projet « The Big Picture » :
Les élèves de la 3ème 2 du collège Jacqueline de Romilly du Le Blanc-Mesnil ;
Martine Strugeon, professeure de lettres et Anne Mignot, professeure documentaliste.
Avec la participation d’Ibrahim Amer, professeur de technologie ;
Michel Slomka & Xavier De Torres, photojournalistes ;
Clément Tramoy, chargé de projets Citoyenneté Jeunesse.
Ce projet est conçu et mis en œuvre, par Citoyenneté Jeunesse, dans le cadre du dispositif « La Culture et l’Art au collège » initié par le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.
Crédits photos : © tous droits réservés
[1] Couverture du Time « America 1968 2015 : What has changed, what hasn’t » (11/05/2015) sur les émeutes de Ferguson (Etats-Unis).
[2] Article paru dans Paris Match (08/02/2017)
[3] Lancée en février 2017 par LeMonde.fr
[4] Journal hebdomadaire d’information généraliste créé en 2014 par Éric Fottorino. Un seul sujet développé par semaine, d’où son nom « Le 1 ».